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Thomas Cailley, réalisateur et scénariste

17 Juin

Pre-scriptum : une fois de plus, le Potaj vole au secours du succès. Le court métrage réalisé par Thomas Cailley vient de recevoir le Fujifilm Award 2011, après le Prix du public aux Rencontres Cinémaginaire d’Argelès sur Mer, le Prix du Public au Festival International de Lisbonne, le Prix du public au Festival Ciné en herbe de Montluçon, le Prix Jeunes Talents au Festival du cinéma européen de Lille, le Prix du public au Festival Premiers Plans d’Angers,… rien que ça. et on vous passe les sélections. Moteur…

Le jeune homme qui s’avance, démarche plutôt assurée et sourire discret, dans un cuir de bonne facture, est un trouble fête. Mais ça je ne le sais pas encore. Moi, je ris encore intérieurement au souvenir de son court-métrage, Paris Shanghai (à voir ce vendredi 17 juin à 21h au Ciné104 à Pantin, ou sur Canal + Cinéma dès ce WE, horaires en bas du post ). Mais voilà, Thomas Cailley va passer l’heure qui suit à m’en expliquer patiemment les ressorts. Plus de magie, mais une mécanique précise qui mène au fou rire. Le job de blogueur est parfois cruel. Je subis donc ses explications passionnantes comme s’il me démontait une excellente blague avec application.

Voilà un visuel de l’accusé, très sympa par ailleurs :


Thomas Cailley nous a d’abord été présenté sous forme de film donc. Un jour que la rédaction du Potaj au grand complet, s’était délocalisée au MK2 Quai de Seine pour une session de courts métrages, munie comme il se doit de buckets de pop-corn XXL carnets de notes préparatoires, Général Rondot style.

Il faut rendre à César ce qui est à Thomas Cailley, la projection de Paris Shanghai fut un grand moment. Un concours de pouffements étouffés et d’éclats de rires sonores. La salle au complet se poilait. OK, « salle au complet » est peut être une expression osée quand il s’agit de projections de courts-métrages, mais tout de même.

A l’écran ce soir là donc, Manu, sympathique barbu à peine trentenaire flanqué d’un T-shirt Paris-Shanghai part pour un voyage à vélo reliant les deux villes. Quelque part dans la campagne française, il tombe par accident sur un ado un peu paumé, Victor, qui vient contrecarrer ses plans. OK, dit comme ça, le pitch a peut être pas l’air à se pisser dessus. Et ben faudra me croire. Ou aller au Ciné 104 ce soir. Ou regarder Canal+ Cinéma ce WE. Ou arrêter de faire ch…, oh !

Après Mission Cléopâtre de Chabat et Borat de Baron-Cohen, Paris Shanghai fut perso ma troisième expérience de rire collectif en salle obscure. Pardon pour cette filiation incongrue. Le comique réaliste et caustique du film n’a pas grand chose à voir avec les deux premiers et le ferait plus ressembler à un Chatiliez grand cru. Mais le réalisateur nous a salement décomplexés question références en confessant par la suite « Moi et mon frère, on a regardé les mêmes conneries assez tôt, Wayne’s World, Point Break,… On a vu les deux à peu près 150 fois. Là tu te dis que le cinéma peut vraiment apporter quelque chose ». C’est bon, on peut se lâcher, Mégateuf.

On ne dira jamais assez tout ce que l’on doit à son grand frère. Pour Thomas, ce fut David, son aîné, qui, en plus de lui faire découvrir Wayne’s World, ce qui en soit justifierait une forme de reconnaissance éternelle, lui a montré la voie à suivre. Celle qui part sur le côté. « Un an avant moi, il avait abandonné sa carrière de prof de physique pour devenir chef opérateur. Je me suis dit – ah ouais c’est cool on peut faire ça malgré nos grands âges ». Pour lui ce sera la Femis. Changement de cap pour ce diplômé de Science Po passé par Ubisoft et l’univers des boîtes de prod, côté administratif. « J’avais envie de passer à la création pure mais je ne m’autorisais pas à arrêter les métiers sérieux ». C’est pas sérieux ce que tu fais ? « C’est moins sérieux : tu nourris ton travail avec tes obsessions, avec tes désirs, tes fantasmes, avec tes obsessions… C’est tout sauf sain. C’est génial mais c’est vrai que c’est difficile de justifier ça de manière rationnelle… ».


Thomas Cailley est-il pour autant un boute-en-train, contrepetant à longueur de phrase ? Non, plutôt un réalisateur méticuleux qui sait ce qu’il veut, quand, où, comment et pourquoi. Démonstration.

Ecrire drôle

Un ressort de comédie essentiel, qu’il a piqué dans Comédie, mode d’emploi, le bouquin de Judd Apatow, c’est qu’on passe sa vie à expliquer à ses potes des trucs qu’ils n’arrivent pas à comprendre. « Il y a un duo comique, un jeu de contraste entre les deux personnages. S’il y en a un qui est un peu lunaire, il en fallait un plus terrien. S’il y en a un qui parle beaucoup, l’autre n’est pas du tout dans la communication ».

T’es confronté personnellement à ces problèmes de communication ?

« J’arrive pas à te répondre ». Rires

Après l’écriture, rebelote avec les acteurs. Pour ceux qui rêvent de se la couler douce en mode Beverly Hills, faudra repasser. « On a passé deux mois avant le tournage à faire deux répét par semaine avec les comédiens, on amenait à chaque fois une scène et on l’épuisait. Après on rajoutait une contrainte dramatique. Toi, tu veux savoir ça, lui veut pas te le dire, … On a beaucoup réécrit avec eux ». Les mêmes blagues pendant deux mois ? C’est un peu comme faire Paris-Toulouse avec l’autoradio bloqué sur Rire&Chansons. Pas étonnant que jusqu’au réalisateur se lasse. « Au moment de la première projection, je m’étais fait à l’idée que c’était juste l’histoire de ces deux personnages, que ce n’était pas spécialement marrant ». On est à Montreuil, début janvier, le réalisateur est dans ses petits souliers. « Et là, énorme surprise, le public a commencé à rire dès le générique alors que ce n’est que du noir avec le nom des comédiens. J’étais halluciné. Je me suis retourné, persuadé que quelqu’un s’était cassé la gueule dans la salle. En fait non, c’était à cause du film ».

Filmer technique

Tel un mécano barré dans Pimp my ride, Thomas Cailley devient prolixe quand il s’agit de rentrer dans le moteur de son bébé . « Le film fonctionne avec deux régimes d’images. D’une part des plans très fixes et assez larges. C’est le monde tel que Manu se le représente, comme une carte postale, avec des décors en deux 2D, écrasés, presque en toile peinte derrière. D’autre part des moments plus à l’épaule, plus saisis, pour l’action présente ». Il n’a pas l’air surpris que ça m’ait échappé, et poursuit doctement sur les avantages de la pellicule sur le numérique en termes de grain et de profondeur de champ. « Avec le numérique, tout est net, on ne sait pas où regarder. Et puis, avec la pellicule, il y a une rareté parce que ça coûte très cher, donc ça pousse au choix ». Ah, oui, c’est sûr. « C’est vachement mieux : boum ça tourne et on entend la petite pellicule qui se met à tourner ». Je crois qu’il a fini par comprendre mon niveau de compétence technique.

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Monter au cutter

Une semaine de tournage. 3h30 de rushes pour sortir 25 minutes de film. Faut sabrer, comme dirait un économiste du FMI de passage à Athènes. « Pour chacune des scènes on s’est retrouvé un peu inconsciemment avec des scènes qu’on avait construites en trois actes, avec une exposition, un conflit et une résolution. Ca faisait une sensation de yo yo sur le film ». Première opération : « out » les débuts et les fins de scène. Le film progressera par bloc. Et c’est ça qui fait que c’est drôle ? « Il faut pas monter le truc en se disant il faut que ça fasse marrer. La bonne idée c’est de montrer la relation, l’enjeu humain. Là c’est deux mecs qui ont rien à faire ensemble à la base, et à un moment un des mecs a l’opportunité de laisser l’autre dans ses emmerdes ou de l’aider. Le comique tu le ressens dix fois plus avec ça. Parce que dès que tu prends au sérieux l’enjeu humain, toutes les situations deviennent plus fortes. Il faut monter le champ / contre champ, les regards, la façon de juger l’autre ou de l’encourager ou de l’envoyer chier, c’est là que ça existe ».

Et bien se foutre de la gueule de ses potes

Petit à petit, sous ses airs de jeune homme bien sous tous rapports, se dévoile un bon tacleur, qui a profité de son premier film pour casser du sucre sur le dos de ses potes. « J’aime taper, c’est mon hobby », disait Bart. Ici, La comédie est un moyen facile de moquer cette habitude déconcertante qu’ont les jeunes salariés cools de se casser en voyage initiatique genre sac à dos, bonnet péruvien et rencontre avec les autochtones après une intense préparation sur Google Images. Des Froots (faux roots) ou des Broots (bourgeois roots) pour reprendre la fameuse terminologie d’Usbek&Rica (n°3, page 19). « Pour Manu, c’est une évidence alors qu’en fait derrière cette quête existentielle, il y a clairement un vide un peu sidéral. C’est une fuite en avant. Sous prétexte qu’autour de lui il trouve que tout est faux, en avançant, il devrait trouver du vrai. En fait la seule chose vraie qu’il rencontre dans ce voyage c’est ce gamin qu’il y a en face de lui, et il se révèle à ce moment là incapable de l’aider ».

Bref, y’a à voir et à penser dans Paris Shanghai. On like et on laugh. Alors hop hop on se bouge, on y va au lieu de passer sa vie sur Google Images, bande de froots !

Plus de renseignements : http://www.facebook.com/pages/Paris-Shanghai/189359954423296

Toutes les photos de tournage sur ce post sont sous copyright Ivan Mathie.